Vérifier ses courriels pendant une réunion, faire le ménage pendant la préparation du souper. Nous savons que le fonctionnement en mode multitâche — faire plusieurs choses en même temps — signifie que nous n’effectuons aucune de ces tâches à la perfection. On peut dire la même chose de notre système immunitaire; c’est pourquoi une infection à cytomégalovirus (CMV) pourrait avoir des conséquences défavorables sur le bien-être des personnes vivant avec le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

Dre Léna Royston, boursière postdoctorale du Réseau

La Dre Léna Royston, boursière postdoctorale du Réseau canadien pour les essais VIH des IRSC (le Réseau), lance l’étude CTNPT 047. Cette étude vise à tester un nouveau médicament anti-CMV, le létermovir, afin de déterminer s’il permet au corps d’annuler les effets défavorables du virus. Cette étude est l’une des deux seules études réalisées dans le monde en utilisant ce médicament chez les personnes qui vivent avec le VIH. L’objectif est de comprendre comment le CMV peut intensifier l’inflammation et entraîner des problèmes de santé chez les personnes vivant avec le VIH.

 

Le CMV est extrêmement répandu dans le monde entier et encore plus chez les personnes vivant avec le VIH. Il peut s’avérer difficile pour le corps de maintenir sa réponse immunitaire en présence du CMV, a expliqué la Dre Royston.

« Le système immunitaire peut lui-même très bien contrôler le CMV, mais en présence du VIH, cette réaction peut s’avérer fatigante pour lui, a‑t-elle expliqué. La coexistence de ces deux sources d’inflammation affaiblit la capacité du système immunitaire à réagir à d’autres pathogènes, voire aux vaccins. »

Les personnes vivant avec le VIH affichent souvent une intensification de l’inflammation dans l’ensemble du corps. Cette situation est attribuable à la détérioration des cellules qui tapissent les intestins, ce qui permet aux bactéries de traverser la paroi intestinale, de pénétrer dans la circulation sanguine et de provoquer de l’inflammation; on parle alors de translocation bactérienne. L’on croit que ce type d’inflammation est la cause principale de l’augmentation des taux de comorbidité, comme la cardiopathie, l’hypertension et la maladie mentale.

Ce type d’inflammation persiste même quand les antirétroviraux (ARV) contrôlent bien l’inflammation, ce qui laisse entendre que le CMV est le principal responsable de cette inflammation persistante et du risque pour la santé. Les médicaments anti-CMV, comme le létermovir, peuvent contribuer à réduire cette activation immunitaire néfaste.

« Le létermovir a été homologué en 2017 aux fins d’utilisation chez les patients ayant subi une greffe, a poursuivi la Dre Royston. Ce médicament s’attaque à une protéine spécifique, propre au CMV et à rien d’autre, ce qui, à notre avis, explique pourquoi il entraîne aussi peu d’effets secondaires. »

Les anciens médicaments anti-CMV entraînaient trop d’effets secondaires pour être testés de manière sécuritaire chez les personnes vivant avec le VIH. C’est pourquoi l’étude CTNPT 047 repousse les frontières de la compréhension de l’inflammation et des comorbidités associées au VIH.

Le létermovir peut-il contribuer à la guérison du tube digestif?

La Dre Royston et son équipe, sous la direction du Dr Jean-Pierre Routy, ont pour objectif de recruter 60 participants à Montréal. Tous les participants vont continuer à suivre leur régime médicamenteux actuel avec leur ARV, conformément à leur ordonnance; 40 d’entre eux vont recevoir une dose quotidienne de létermovir pendant 14 semaines, et les 20 autres ne vont prendre que l’ARV.

Il y aura pendant la durée de l’étude en tout sept consultations à la clinique, y compris la visite consacrée au dépistage, au cours desquelles l’on prélèvera des échantillons sanguins. L’étude se concentrera principalement sur la comparaison des niveaux de lipopolysaccharides (LPS) dans le sang entre les deux groupes de participants à l’étude.

« Les lipopolysaccharides, les LPS, sont des fragments de la membrane externe des bactéries, a expliqué la Dre Royston. Si beaucoup de microbes traversent la paroi du tube digestif, on va trouver des LPS dans le sang. Il s’agit d’un signe indiquant que des bactéries sont en train de pénétrer dans la circulation sanguine. » En réduisant l’effet du CMV avec le létermovir et en permettant au tube digestif de guérir, la Dre Royston et son équipe s’attendent à voir des taux de LPS plus faibles chez les participants prenant à la fois leur ARV et le létermovir que chez ceux ne prenant que leur ARV.

L’équipe cherche également d’autres marqueurs d’inflammation ainsi que des éléments probants directs attestant la présence de CMV dans le système immunitaire.

« Il peut s’avérer très difficile de trouver des traces de CMV dans le sang; nous nous demandons par conséquent si la réaction du système immunitaire contre le CMV va être plus faible à la fin du traitement, a ajouté la Dre Royston. De plus, nous sommes en train d’examiner les marqueurs sur les cellules immunitaires, qui peuvent nous dire si elles sont fatiguées; nous avons une théorie selon laquelle ces cellules vont être moins nombreuses après le traitement. »

Les participants à l’étude vont également se faire demander s’ils souhaiteraient participer à une sous-étude, où ils subiraient des colonoscopies et des biopsies du côlon, effectuées lors de deux consultations distinctes, soit au début et à la fin de l’étude.

« Avec cette sous-étude, nous voulons connaître l’effet direct du CMV sur les cellules du tube digestif et procéder à des analyses plus précises, avant et après la prise du létermovir, a expliqué la Dre Royston. Il s’agit d’une sous-étude, parce que les participants n’accepteront pas tous de subir ces examens; toutefois, dans nos études précédentes, nous avons découvert que bon nombre de personnes acceptent de subir une colonoscopie parce que cet examen fait partie de leurs soins de santé courants et des mesures de prévention qu’ils adoptent. »

Au-delà du létermovir : une étape importante dans la lutte au CMV

Une fois que la Dre Royston aura terminé l’étude en cours et son fellowship au RÉSEAU, elle retournera chez elle, en Suisse, afin de reprendre sa pratique à titre de médecin spécialiste des maladies infectieuses. Elle ne s’attend toutefois pas à prescrire du létermovir à beaucoup de ses patients, même si ce médicament s’avérait efficace contre le CMV.« Compte tenu du coût actuel du létermovir, il n’est pas possible de le prescrire à tous les patients pour le moment, a-t-elle poursuivi. L’objectif de notre étude est de comprendre le CMV et la manière dont il agit sur l’inflammation et sur le tube digestif. »

Non seulement le létermovir est-il coûteux, mais il doit aussi être pris de manière constante afin de prévenir toute récidive du CMV.

« Le CMV persiste dans l’organisme à l’état latent la vie durant, ce qui signifie qu’il peut rester caché sans se répliquer activement, a ajouté la Dre Royston. À l’instar de l’ARV et du VIH, le létermovir n’éradique pas le CMV, mais ce dernier ne peut se répliquer ni infecter d’autres cellules. »

Selon la Dre Royston, s’il est efficace, le létermovir pourra être prescrit aux personnes qui en ont le plus besoin — soit celles qui courent le risque le plus élevé d’inflammation et de comorbidités sans lien avec le VIH. Cette application ciblée du létermovir pourrait être testée dans des études plus vastes une fois que les résultats de l’étude CTNPT 047 seront disponibles.

Toutefois, les retombées de l’étude vont au-delà du médicament comme tel. En comprenant le mécanisme sous-jacent à l’incidence néfaste du CMV sur le tube digestif et sur l’intensification de l’inflammation, l’étude pilote de la Dre Royston pourrait entraîner la mise au point de nouvelles techniques et de nouveaux médicaments destinés à combattre le CMV, et constituer une étape importante menant à la réduction des risques pour la santé des personnes vivant avec le VIH.

Écrit par :

Sean Sinden

Sean is the Manager, Communications and Knowledge Mobilization at the CTN and the Centre for Health Evaluation and Outcome Sciences (CHÉOS), in Vancouver, BC. He holds a Master of Public Health degree and a Master of Sciences degree from UBC. Sean works with CTN and CHÉOS scientists and staff to communicate information about research projects and their results and implications to a variety of audiences.